Il vous est déjà arrivé de vous regarder dans le miroir et de ne pas vous reconnaître, à cause de votre habillement — non ? Qu'est-ce qui fait que vous vous sentez déguisé·e, comme dépassé.e par les vêtements que vous portez ? À côté de cela, l'habillement peut nous faire sortir de notre condition habituelle et nous faire passer à un autre stade de nous-même. Qu'est-ce qui fait qu'on se sent déguisé·e, ou qu'on se sent investi·e de super-pouvoirs ?
En dehors de l'acception relevant du domaine du spectacle (et là, on parlera plus justement de costume), se déguiser consiste à se vêtir de façon à se rendre méconnaissable. Et c'est bien là que le mal prend son origine : en se déguisant, on dissimule, on falsifie, on dénature, on trompe, on ment.
S'approprier des attributs qui ne sont pas les nôtres crée nécessairement un décalage — un non-alignement — qui est perçu plus ou moins consciemment par les autres, provoquant chez ceux-ci un brouillage (sur divers plans : normes socio-culturelles, expression de la personnalité…), par là une incompréhension, et, au final, un malaise.
Pourtant, en réalité, il n'est pas si rare de revêtir des vêtements qui ne sont pas pleinement les nôtres, à des degrés divers, et pas forcément pour le pire. C'est le côté « super-pouvoirs » de l'habillement.
Vue sous un angle très réducteur, la fonction sociale du vêtement nous cantonne à un rôle dans la société, nous empêche de nous exprimer pleinement, et repose sur des préjugés. Elle comporte cependant des aspects très positifs, découlant directement — c'est le paradoxe — de ses composantes négatives. Prenons le cas de l'uniforme : « déguisement » social par excellence. On sait bien aujourd'hui (grâce à de multiples études en sociologie et en psychologie) que porter une blouse blanche vous apporte systématiquement du crédit, quand bien même vous n'avez aucune qualification dans le domaine médical — troublant, n'est-ce pas ? Je me rappelle aussi, pendant mes années d'études, une de mes camarades qui avait décrété qu'une fois qu'elle aurait obtenu l'agrégation de philosophie et qu'elle enseignerait, elle porterait nécessairement un tailleur noir (bien plus beau et valorisant que celui que l'on voit sur l'illustration ci-dessus, je vous rassure), comme notre professeure de philosophie que nous admirions. J'ai été marquée par le fait que ma camarade avait une idée parfaitement claire du « costume » qu'elle avait précisément l'intention d'endosser pour exercer sa future fonction, en-dehors même de réussir à se qualifier en tant qu'enseignante (ce qu'elle pouvait assurer sans problème, du reste).
C'est dire le pouvoir de l'habillement, sur la personne qui porte les vêtements comme sur ceux et celles qui la regardent. C'est que l'habillement influence notre posture physique, mentale et psychologique. Il permet une version de soi davantage disposée à certains comportements qu'à d'autres. L'habillement nous permet de nous exprimer et, réciproquement, il s'imprime sur nous, faisant jouer le regard que nous portons sur nous-même ainsi que celui des autres sur nous.
Ça se manifeste de façon spectaculaire lorsqu'on observe ce qui se passe
en groupe, alors que quelqu'un est amené à changer sa façon de
s'habiller de façon instantanée, sous le regard des autres. En voici un
exemple : lorsque je travaille en séance collective, je propose une
séquence que j'appelle « le jeu de la métamorphose » (ou encore « le jeu
du déguisement »). Il s'agit de transformer la tenue du jour de
personnes — volontaires, toujours — grâce à des vêtements et des
accessoires que j'apporte. J'opère la transformation en dehors de la
salle où se trouve le groupe, essentiellement pour mettre à l'aise la
personne avec laquelle je travaille et pour réserver la surprise au
reste du groupe. Et, immanquablement, je constate plusieurs choses :
pour commencer, la personne dont l'habillement est transformé,
lorsqu'elle se voit dans le miroir, est souvent étonnée, puis émet des
réflexions sur cette nouvelle image d'elle-même, s'observe, s'évalue ;
on sent chez elle une excitation positive et une autre façon de se
tenir. Je lui demande toujours si sa nouvelle tenue lui convient et lui
plaît, et si elle se sent prête à se montrer aux autres — il est crucial
de s'assurer qu'elle adhère à ce que je lui propose. Puis nous
retournons dans la salle où se trouve le groupe. Et là, à chaque fois,
se produit un véritable effet « Waou ! » : la personne
« métamorphosée » défile devant tous, adopte des poses, joue avec
l'effet produit par sa nouvelle image. Et, bien au-delà du côté
spectacle, je perçois toujours chez elle de la fierté : elle ne fait pas
qu'adopter des postures, elle se sent galvanisée. C'est la « magie »
d'un nouveau regard posé sur soi, renforcé par celui des autres qui sont
eux-mêmes enthousiasmés. Comment ne pas croire aux « super-pouvoir » de
l'habillement après une telle expérience ?
notre habillement parle toujours pour nous
L'habillement, en tant qu'élément culturel, nous dépasse en tant qu'individu. Et pour autant, il nous permet de nous exprimer dans notre singularité. Parce que nous vivons dans un monde de connotations et d'influences culturelles, notre habillement nous parle et parle pour nous, de qui nous sommes et de notre construction personnelle et particulière.
La première fois que je me suis fait confectionner un chemisier en demi-mesure, j'ai choisi un Liberty(*), mon Liberty, dans des couleurs correspondant à ma palette personnelle, bien sûr :
Lorsque je regarde ce tissu, c'est tout un ensemble de références culturelles fortes (les courants Art Nouveau, Art Déco, Arts & Crafts) mais aussi des souvenirs personnels et ma culture familiale influencée par l'Angleterre qui émergent, et que j'affiche. Des références renforcées par la coupe du chemisier, inspirée par un modèle actuel que j'ai trouvé chez une enseigne britannique. Tout n'est pas nécessairement perçu par les autres (tout dépend de leur culture et leurs références) mais, en tout cas, ce chemisier participe à la manifestation de ma construction et de mon identité singulières.
Chez nombre d'entre nous, l'imagination s'emballe dès que nous réfléchissons à ce que nous avons le droit de porter, par peur de se sentir déguisé·e, d'être donc mal perçu·e et de passer pour un imposteur. Or, le meilleur moyen de dépasser cette peur est de passer à l'action : essayer les vêtements en question. Il va sans dire qu'il est nécessaire d'adhérer au préalable à ce que ces éléments véhiculent (quelles connotations culturelles, etc). Une fois cette question au clair, laissez-vous aller vers ce qui vous fait envie, et voyez ce qui se passe — quels sont les risque ?? Le ridicule ne tue plus(**), et la meilleure chose qui vous arrivera sera de découvrir ou d'approfondir la connaissance d'une partie de vous-même. L'habillement est un puissant moyen d'explorer qui l'on est. Alors offrez-vous la possibilité de savoir ce qui vous appartient et, aussi, ce qui vous ne vous appartient pas.
Au final, ce qu'il faut absolument éviter, c'est d'endosser des vêtements sous la pression sociale ou psychologique, ou parce qu'on part dans l'objectif de tromper les autres, même animé·e par de « bonnes intentions », en se déguisant.
Et ce que je vous invite à faire, c'est de conjuguer vos envies et aspirations profondes aux nécessités sociales. Cela revient à interpréter les codes institués grâce à une connaissance aiguisée de soi, qui passe par des phases d'exploration, grâce à cet outil merveilleux qu'est l'habillement. Bref, utilisez les super-pouvoirs qui sont à votre disposition !