En matière d'habillement, comme dans les autres formes d'art, s'est toujours posée la question du « bon goût » : sa définition, sa mise en œuvre, son apprentissage…
Or, « peu de notions sont aussi complexes et aussi difficiles à définir que le bon goût »(*). D'où de nombreuses controverses, travaux d'analyse dans les différents champs des sciences humaines, et aussi des fictions (qui permettent de s'interroger sur la chose de façon peut-être plus accessible) comme le film
Le Goût des autres d'Agnès Jaoui.
Pour faire — vraiment très — simple, le bon goût est une notion relative, que je vais survoler ici, compte tenu que je crois que ce qui est essentiel, c'est d'avoir du goût, et si possible le sien.
Ce que l'on appelle « avoir du goût » relève avant tout d'une démarche esthétique dans laquelle on identifie et révèle ses références, ses influences, ses inspirations, et qui permet de déployer sa créativité. Alors que le « bon goût » s'appuie sur des règles, des usages, et des convenances. Par exemple, dans l'habillement formel masculin (le costume), la longueur des bras de la chemise par rapport à celle des manches de la veste, ou encore la couleur des chaussures à porter en ville, sont régies par des règles bien précises, souvent connues, intégrées et appliquées par certaines catégories socio-culturelles.
Par opposition au « bon goût », « avoir du goût » procède non pas d'un élitisme de classe mais il trouve son origine dans l'éclatement des repères traditionnels et globalement (re)connus par la majorité des gens. C'est le cas typique du streetwear à ses débuts, qui prend le contre-pied du classicisme.
À noter qu'ici, on fait preuve d'élitisme en utilisant des références (re)connues uniquement d'un cercle restreint de personnes, de ses pairs.
En bref, à chaque extrême du spectre, on trouve la Police de l'habillement et le snobisme.
Ce que je trouve bien plus intéressant, à titre personnel et aussi professionnel dans mes accompagnements, c'est de donner à voir « son style » : un style personnel. Je vous donne l'exemple spécifique des associations de couleurs : de façon académique, on apprend ce qu'on appelle les harmonies — dans le jargon du conseil en image — et leurs effets en termes de style ; en voici deux :
Je dois dire que je n'aborde pratiquement jamais ces notions avec les personnes que j'accompagne. Tout simplement parce que je n'y crois pas, car j'y trouve une part d'arbitraire, d'approximation, et de cliché. J'en veux pour preuve ce que j'applique à moi-même : jadore tout aussi bien les monochromes que les harmonies complémentaires, souvent de ce type :
Je ne crois pas qu'il me faille vous présenter une longue dissertation pour que vous vous rendiez compte qu'un monochrome peut être original et une harmonie complémentaire élégante et subtile. On peut faire dire beaucoup de choses aux couleurs… c'est en fait toute la combinaison des différents paramètres d'une tenue qui donne l'orientation et le sens de ce que l'on veut exprimer. Alors, rien de radical et beaucoup de recul par rapport aux idées et aux termes employés. Je reviendrai d'ailleurs sur le concept (et la réalité) d'originalité dans un prochain article de la Lettre de Perle Claire.
Pour faire une analogie avec un autre domaine, celui de la communication verbale, avoir du style — et surtout avoir son style — va au-delà d'appliquer les règles de grammaire et d'orthographe d'une langue : c'est ce qui permet à un auteur ou une autrice de se distinguer, d'imprimer sa marque singulière et de susciter de l'intérêt.
Pour en revenir au goût et à sa manifestation, et en reprenant mon exemple sur les couleurs, je dois dire que je suis essentiellement motivée par l'amusement et le plaisir que j'ai à goûter les teintes entre elles, et la joie de les voir me permettre de rayonner. Je me moque totalement d'être reconnue—ou non — par une hypothétique communauté d'initié·es ou d'expert.es (pour être honnête, si cela arrive, que cela suscite de l'intérêt et surtout des échanges constructifs à titre professionnel, cela peut augmenter encore mon plaisir, donc tant mieux !). Pour finir, la seule chose qui m'importe, en-dehors de trouver une harmonie que je goûte avec plaisir, c'est de m'exprimer en accord avec ce qui m'est essentiel. C'est ce que j'appelle cultiver son goût, et c'est ce que j'aime pour moi-même comme pour les personnes que j'aide à s'exprimer.