Voici une tenue remarquable, pour commencer, par le mélange de sobriété et d'une multitude de détails cohérents les uns avec les autres. Sobriété des couleurs : une harmonie de (majoritairement) beige, kaki, marron déclinés en nuances variées, avec une pointe de blanc cassé sur la chemise. Le tout en concordance avec la carnation de la personne. Seul le bonnet bordeaux paraît décalé — mais j'y reviendrai plus tard.
Côté matières, rien que du naturel : toile de coton du trench, du pantalon, de la chemise, et du sac ; laine du gilet, des mitaines, et du bonnet ; soie de la cravate ; cuir de la ceinture, des boots, et des garnitures du sac ; métal de la boucle de ceinture, des clous des boots et sur le sac ; enfin, corne (probablement) des boutons du gilet. Des matières robustes (y compris la soie) et patinées qui donnent une impression de solidité, de confort et de chaleur. Qualités que l'on a d'emblée envie d'attribuer — au figuré — à l'homme qui se tient ici.
Sur le plan stylistique, on remarque plusieurs éléments relevant de l'univers militaire : les couleurs kaki, olive sombre, taupe, marron ; les boots à lacets et le pantalon – celui-ci rentré dans celles-là est précisément une façon de faire militaire – le trench dans une version simplifiée ici (le trench-coat, littéralement « manteau de tranchée », comporte à l'origine plus d' « équipements »). À côté de cet univers militaire, un autre, tout aussi formel, celui du sartorial (le costume masculin), avec la cravate et le gilet (sans manches, qui se porte normalement entre la chemise et la veste) même si celui-ci en particulier appartient plutôt au registre du vêtement de chasse.
Quoi qu'il en soit, deux univers très formels, mais ici interprétés dans un esprit de décontraction (chemise non repassée, col de trench à moitié relevé…). Ce qui donne de la discipline et une certaine rigueur alliées à une liberté de mouvement et de pensée. À cela se superpose un sens du détail qui reflète la réflexion et le soin (sans affectation pour autant) mais aussi l'attention portée au confort à la fois douillet et pratique – les mitaines sont emblématiques à cet égard.
Pour finir sur cette tenue, notons la cohérence entre les différents « motifs » : les clous sur le sac répondent aux clous des boots auxquels font écho les boutons du gilet et les pois sur la cravate. En somme, une tenue très recherchée et aboutie dans le moindre détail.
Je reviens au bonnet : celui-ci m'a interpellée car, même si sa couleur sobre ne détonne pas totalement avec l'ensemble, elle n'a rien de commun avec les autres éléments de la tenue. Quel est alors son sens ? Je le perçois comme un des indices de l'esprit de liberté affiché ; un décalage subtil qui suggère le non-conformisme. Et au-delà de cette tenue, c'est l'ensemble de la photographie qui séduit : c'est en me focalisant sur ce bonnet que mon regard a compris la cohérence non seulement de la personne mais aussi de cet homme avec son environnement. Le bordeaux du bonnet se fond avec la brique du bâtiment ; et le « reste » de la tenue s'accorde avec la grille et la devanture qui se situent en arrière-plan, que ce soit par les couleurs ou par les formes : bandes sombres verticales de la cravate, du gilet et des boots en écho aux poteaux en bordure de la brique, motifs du gilet rappelant le motif créé par la grille, beige du trench et du ciment qui soude les briques, gris taupe du pantalon et de la base de la grille, lignes horizontales du gilet quasiment parallèles aux raies de la base de la grille… Et enfin, le graffiti blanc sur lequel rebondit la chemise, représentatif du caractère subversif de cette tenue qui détourne habilement un ensemble de codes formalistes.